Portrait de poilu : Antoine Manlhiot (1889-1968)

Nous remercions vivement Jean-Yves Manlhiot de nous autoriser à publier le texte ci-dessous par lequel il rend hommage à son arrière-grand-père Antoine Manlhiot, soldat de la 1re Guerre Mondiale.

Antoine MANLHIOT est né le 14 mai 1889 aux Martres de Veyre où il passe toute son enfance. Lors du conseil de révision de 1910, Antoine est exempté de service militaire pour raison médicale. Il sera cependant de nouveau convoqué à la fin de 1914 et reconnu apte au service pour aller renforcer le front en 1915.
Le 21 mai 1912, Antoine Manlhiot épouse Pauline Maucour (1893-1971), à Parentignat, où le couple s’installe et accueille leur premier enfant, Germaine Manlhiot, en 1913.

Le 17 février 1915, Antoine Manlhiot est incorporé à Clermont-Ferrand, pour une formation fantassin. Le 1er juillet 1915, il arrive à Arras, sur le front de l’Artois, où il intègre le 59e RI. Il découvre les tranchées, sous une pluie battante. Les parapets s’effondrent sous l’effet de la pluie et de l’artillerie allemande, qui pilonne violemment les positions françaises et
utilise des obus au phosphore.

Le 25 septembre les offensives conjointes franco-anglaises en Champagne et en Artois débutent. Antoine est partie prenante de ces attaques successives. Quand les soldats franchissent le parapet, ils sont immédiatement fauchés par les mitrailleuses ennemies et les grenades. Les multiples tentatives d’assaut sont toutes aussi vaines. Novembre et décembre 1915 sont marqués dans l’Artois, par la pluie et ses conséquences dans les tranchées, transformées en canaux de boue.

Antoine Manlhiot, portrait aimablement transmis par son arrière-petit-fils Jean-Yves Manlhiot

Après l'Artois, Verdun, la Champagne et le Chemin des Dames

La neige tombe dans l’Artois, jusqu’à début mars 1916, quand les troupes anglaises viennent relever le 59e RI. Antoine Manlhiot quitte Arras pour rejoindre et renforcer le secteur de Verdun, soumis à une violente offensive ennemie. Ils s’installent au nord de Verdun, dans le bois d’Avocourt. Les bombardements se succèdent d’une extrême violence, sur tous les fronts de Verdun, embrasant, malgré la pluie, le secteur. Le 29 mars, après une violente préparation de l’artillerie, Antoine Manlhiot et ses camarades du 59e RI attaquent et reprennent une partie du bois. Les nombreuses contre-attaques allemandes sont toutes repoussées. Jusqu’à juin 1916, le 59e RI d’Antoine Manlhiot alterne entre la ligne de front du bois d’Avocourt et la remise en condition, à l’arrière. Le 29 juin, le 59e quitte l’enfer de Verdun et se porte sur de nouvelles positions, en Champagne.
En avril 1917, le 59e RI d’Antoine Manlhiot est engagé en marge de la bataille du Chemin des Dames, dans le secteur des monts de Champagne, notamment le Mont Blond et le Mont Cornillet, que les soldats du 59e doivent prendre d’assaut. Ces positions stratégiques sont occupées par les Allemands depuis 1914, et ils les ont puissamment fortifiées et creusées d’importantes galeries souterraines, pouvant abriter des bataillons entiers. Le 17 avril, à 4h45 l’assaut est lancé, sous la pluie et la neige mêlées et, à 7 h, le 59e a rempli sa mission en atteignant l’objectif. Plusieurs centaines de soldats allemands sont faits prisonniers, des canons et de nombreuses mitrailleuses sont saisis. Si le Mont Blond est entre les mains du 59, les résistances sur le Mont Cornillet et sur les autres points-hauts ne permettent pas leurs prises. Après une rude journée passée au sommet du mont Blond, accablés par les tirs d’artillerie aussi bien allemande que française, couverts de boue, gelés, Antoine Manlhiot et ses camardes repoussent toutes les tentatives ennemies. Les forces allemandes restent pourtant intactes jusqu’à la crête du mont Cornillet et bénéficient de leurs abris souterrains et fortifiés. La bataille reprend le 19 avril, relancée par les Allemands qui submergent, dès l’aube, les lignes françaises. Bien qu’aucune contre-attaque allemande ne soit fructueuse sur les positions tenues par le 59e , Antoine Manlhiot et les hommes du régiment subissent, au cours des multiples assauts, de très lourdes pertes, morts blessés et beaucoup de disparus. Au cours des trois derniers jours de combat, le régiment déplore près de 300 tués, blessés et disparus, parmi eux, on compte Antoine Manlhiot.

Sept mois de captivité en Allemange

Il a en effet été fait prisonnier et évacué du côté allemand de la ligne de front, puis transféré, par train au camp de prisonniers de Giessen, situé dans le centre-ouest de l’Allemagne. Ce camp est connu parmi les prisonniers français sous le nom de camp de la faim. Antoine Manlhiot sera employé comme cuisinier, mais aussi comme auxiliaire sanitaire. Après sept mois de captivité, Antoine apprend qu’il fait partie d’une liste comportant des noms de médecins auxiliaires et de sanitaires qui doivent faire l’objet d’un échange de prisonniers. Le 28 octobre, après la fouille, Antoine monte dans le train. Ils traversent, de nuit, la Forêt Noire puis arrivent au petit jour, en gare de Constance, à la frontière suisse. Ils montent alors dans un train suisse, qui les mène jusqu’à Lyon. Ils poursuivent jusqu’à Moulin, où ils sont présentés au bureau des isolés et vont subir un interrogatoire, avant de passer en visite à l’infirmerie. Antoine Manlhiot obtient une permission et peut passer une partie de l’hiver à Parentignat, auprès des siens. Il retrouve son épouse et sa fille Germaine, âgée de quatre ans.

Giessen : Camp d’immatriculation et de transit (durchganglager) muni d’un lazarett (hôpital militaire) situé dans la Hesse, au nord de Francfort-sur-le-Main, sur la Lahn. Le camp est situé à 4 km de la ville de Giessen. Les prisonniers sont Français, Anglais, Italiens (après la défaite de Caporetto, les camps Autrichiens étant complets, ceux-ci envoyèrent leurs prisonniers en Prusse) et Américains (environ 40 en 1918). Source : www.chtimiste.com

Le retour au front comme auxiliaire sanitaire

Antoine Manlhiot retourne au front, en mars 1918, avec les affectations successives, à la 13ᵉ, 8e et 9e Sections d’Infirmiers Militaires, chargées du soutien sanitaire au profit des régiments engagés au combat. Cette ligne de front, qui n’a que très peu évoluée, depuis l’automne 1914, malgré les nombreuses offensives sanglantes, de part et d’autre, est soudainement prise d’assaut, par les Allemands, qui ont dégagé des moyens de leur front oriental, après avoir négocié un cessez-le-feu avec les Russes, en pleine révolution.

Antoine Manlhiot se trouve à Noyon, le 12 septembre, quand il apprend la naissance de Jean Manlhiot, son second enfant. Antoine Manlhiot est auxiliaire sanitaire au profit des unités engagées dans la troisième bataille de Picardie, débutée en août 1918, et qui se poursuit jusqu’au 14 septembre.
Il est ensuite affecté dans le groupe d’armées des Flandres, composé de Britanniques, de Belges et de la 6e armée française, qui libère la Belgique. Les équipes sanitaires sont débordées. L’épidémie de grippe espagnole touche tous les régiments, et ajoute les malades aux nombreux blessés. Antoine Manlhiot est en Belgique, lorsque l’armistice est signé le 11/11/1918. En décembre 1918, l’armistice est prolongé. La guerre est bel et bien terminée. Depuis la Belgique, Antoine est envoyé au sein des troupes d’occupation en Allemagne, dans un premier temps à Aix la Chapelle, puis à Cologne.
Antoine Manlhiot est démobilisé, le 12 juillet 1919 et il peut reprendre sa place au sein du foyer familial de Parentignat. Il recevra la croix du combattant.

Antoine Manlhiot décède le 10 août 1968 à Varennes-sur-Usson.

Il a fait campagne contre l’Allemagne, de juin 1915 à novembre 1918, dont sept mois en captivité en Allemagne. C’est aussi dans cette région rhénane qu’il est parti en occupation, à l’issue de ce conflit. 20 ans plus tard, son fils Jean Manlhiot participera à la bataille de France. Il sera fait prisonnier dans les Vosges, en juin 1940 et sera aussi interné dans cette même région d’Allemagne, près d’Aix la Chapelle. Après une audacieuse deuxième évasion, il rejoindra le foyer familial, à Varennes sur Usson, en mai 1942.
C’est toujours dans cette même région d’Allemagne, que, de 1992 à 1997, l’arrière-petit-fils d’Antoine Manlhiot, et auteur de ces lignes, sera affecté au sein des Forces Françaises en Allemagne, dans ce qui était alors, l’extrême fin des conséquences de trois guerres qui ont opposé la France et l’Allemagne, pendant 75 ans, déplaçant les frontières au gré des générations.